Qui est ma mère ?
Évangile, ou théologie ?
On vient d’affirmer que
Jésus naît à la fois de
la femme et de
Dieu, sans que cette deuxième genèse fasse de lui
Dieu, car l’une et l’autre sont constitutives de l’homme, la première au niveau biologique, la seconde, pourrait-on dire, au niveau métaphysique. Cette conclusion cependant paraît être en contradiction avec l’affirmation des évangiles que
Jésus est à la fois
Dieu et homme. Il suffit de nous rapporter aux ultimes paroles de l’évangile de
Jean : «
Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu » (
Jn 20:31). La contradiction existe donc, mais il faut en déterminer la portée.
Le mot «
Christ » est grec, et signifie « oint ». Dans la
Bible, il est attribué à tous ceux que
Dieu envoyait avec une mission de salut. Ceux-ci, souvent, n’étaient pas seulement nommés « oints » mais faisaient aussi l’objet d’une véritable onction rituelle. Le mot grec correspondait au mot hébreu «
Messie », dont le sens est « envoyé ». Leurs sens sont différents mais pas en opposition, susceptibles, au contraire, d’être unis : l’homme oint pour être envoyé. Celui-ci était presque toujours un homme de la
génération
d’
Abraham mais parfois non, comme dans la mission que
Dieu donne à
Cyrus de libérer le
peuple d’Israël déporté à
Babylone. Bien qu’il ne reconnaisse pas le
Dieu d’Israël,
le grand général était appelé par lui avec le titre de «
Messie » (
Christ) (
Is 45:1).
Il faut souligner que la mission d’être envoyé comme
Christ conférait à l’homme une dignité qui ne changeait pas sa nature humaine. À la rigueur, il aurait convenu d’affirmer la même chose pour
Jésus. Mais, chez
Paul et dans les évangiles, la personne de
Jésus est soumise à un processus de sublimation par lequel elle dépasse les limites de la nature humaine. Sans doute parce qu’elle exigeait
qu’il meure pour que la mort soit rachetée, permettant à l’homme le retour à son immortalité d’origine.
Jésus est un homme qui, par sa naissance, est dans une condition divine d’existence, mais
les écrivains vont au-delà de la mission conférée par
Dieu à
Jésus comme
Christ.
Ils ne se bornent pas à décrire
Jésus comme le
prophète qui représente en lui l’homme violé dans sa naissance par le péché, qui s’offre par sa mort en expiation du péché et qui se montre comme l’homme retourné à la condition originelle d’immortalité, mais comme l’homme engendré par
Dieu sans aide de l’onction du
prophète, qui meurt en rédemption expiatoire du péché de tous les hommes, qui est le premier homme qui revient à la condition originelle d’immortalité.
Je dirai plus : leur
Jésus n’est pas l’homme devenu
Dieu, mais
Dieu qui devient homme, afin que les hommes retournent à leur condition originelle d’immortalité. Ce qui apparaît le plus étrange, le plus sujet à doute en tout cela, c’est que l’homme parvenu à l’accomplissement de cet événement de salut se trouve encore homme qui, pour parvenir à l’accomplissement de l’événement en lui, doit attendre de devenir
Dieu ! Je serai porté à affirmer que les évangiles, au lieu d’être une parole d’annonce du salut, sont l’élaboration d’un système de salut, donc d’une théologie et d’une philosophie de salut.
Il demeure difficile, pour ne pas dire impossible, pour moi de répondre à l’invitation de
Jean de croire que
Jésus est le
Christ sans m’attarder à examiner par la raison si le système de foi me permet d’y croire. Et croire ou ne pas croire dépendraient alors de la seule raison.